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Debout sur les ruines d'aujourd'hui

le 26 novembre 2020

Mon enfant,

Je t'écris aujourd’hui le 26 novembre 2020. Je t'écris de cette drôle d’époque, je t’écris de ce temps incertain.
Dans ma vie, je crois que c’est la première fois que je vis une période comme celle-là. J’avais été épargné de vivre dans un pays en guerre, j’avais été épargné par les épidémies.
J’ai connu des errances et des matins tristes, mais pas de temps collectifs aussi perturbants que la crise actuelle.
Je t'écris d’un présent intense et plein de fractures.
Ici, un virus dont l’existence est liée à notre façon de consommer le monde, vient rendre saillants nos tensions, nos dysfonctionnements et nos peurs. 
Ici, la gestion gouvernementale de la Covid 19, nous assèche et nous isole. Leur gestion autoritaire exacerbe nos solitudes, rabougrit nos humanités.
Nous vivons une crise historique, elle pourrait provoquer le meilleur comme le pire.

 

Mon enfant, tu as 15 ans et tu pars en scooter à l’école le matin. 

Tu mets ton masque toute la journée, sans jamais te plaindre. Tu es en colère contre  la cruauté de ce gouvernement à s’attaquer à la sécurité sociale en pleine crise sanitaire.
Tu es en colère qu'il puisse rentrer aussi puissamment dans notre quotidien, et interdire ce que bon lui semble. 
Tu ne te sens pas protégé par l’État, tu te sens menacé et contraint. Tu veux aller manifester contre la loi de sécurité globale ce soir. Moi j’ai peur que la police ne soit pas coopérative...
On discute de Jaurès, je te raconte le socialisme. Tu as profité de ce confinement pour écouter des podcasts, lire et chercher à comprendre le monde. Avec une tentative de rigueur dans la construction de la pensée.
Tu en sais plus sur les relations entre le climat et le système capitaliste, les dominations de genre et le patriarcat à 15 ans que ce que j’en avais compris à 25 ans. 
Tu n’es pas dupe, tu n’es pas naïf. Tu as confiance dans tes analyses, tu sais te remettre en question, tu choisis tes médias, ton camp, tes luttes et tes désirs, et tu sais déjà que se sera difficile.

 

Mon enfant, tu as 9 ans, je t’emmène à l’école le matin. 

Parfois, nous écoutons la revue de presse, et je te vois surpris de tant de violence. 
Comme ce monde manque de joie. Heureusement, chaque jour tu me rappelles, avec tes mots, que l’avenir s’écrit avec surprise ! 
Que nous ne savons absolument rien de ce qui va se passer, et que ça laisse tant de place au meilleur, au plus beau, au plus joyeux !
Tu te moques bien de devoir mettre un masque pour jouer avec tes potes. C’est le jeu qui compte et vivement qu’on enlève ce masque. Zorro perd de son charme...
Ça t’inquiète vraiment de savoir ce qui se passe pour les petits voisins, pour les amis marocains, les voyagent te manquent. Tu sais l’importance d’être solidaire. 
Tu sais que rien n’est plus important que de partager le repas avec celles et ceux qui n’en ont pas. 

 

Mon enfant, tu as un an et trois mois, 

Tu regardes les grands avec des yeux fluo et pétillants. Toi, tu continues les liens, toi tu n'as pas de barrière, toi tu câlines et tu caresses les gens, celles et ceux qui croisent ta route.
Tu affirmes aussi quand tu n'es pas d'accord. Tu sais dire NON. On a bien besoin de réapprendre cela à tes côtés.
Et ta grande force, c'est de ne nier personne, de faire avec celles et ceux qui ne sont pas comme toi, qui ne pensent pas comme toi. Tu y vas, tu cherches le contact, le dialogue, pour construire ensemble, ou jouer à caché-coucou. 
On a bien besoin de réapprendre cela à tes côtés.

 

Mon enfant, tu naîtras au printemps. Je me demande dans quel monde tu grandiras. 
Sera-t-il accueillant, ou un univers délabré laissé aux puissances sans vie et sans désir ?
Chaque jour, tu m’apprends que le futur sera joyeux. Que quand je t’aurai dans mes bras, j’éclaterai de vie, de rire et de désir.
Je tente de construire un monde respectueux, digne et généreux. Un monde où notre temps nous appartient. Un monde où règne la justice sociale. Un monde où nous dialoguons d’égal à égal avec le vivant.

 


Je regarde inquiet ce qui se dessine. Je vois mes amis s’écharper pour des questions étranges, ou du moins qui me semblent annexes. 
Je vois des lois, des lois, des lois qui passent, et très vite, sans qu'on ait le temps de s'organiser pour s’y opposer. Des lois qui menacent plein de choses, et qui vont mettre à mal de nombreux et précieux espaces de résistance. 
Je vois des gens élaborer des complots fantastiques, (peut-être vrais, je n'en sais rien) mais qui me semblent paradoxalement étrangers au complot primordial, celui qui structure nos sociétés, je veux dire celui des dominations de classe.
Ces dominations de classe, qui s'entremêlent aux autres dominations qui structurent notre système actuel (sexisme, racisme...).


Je vois des collectifs qui manquent d’oxygène, à ne plus comprendre comment agir collectivement. Et en direction de qui ?
Je vois des humanités qui s’essoufflent, à être si loin les uns des autres. La solidarité est notre oxygène, et le monde est bien dur quand on respire peu.
Moi qui suis passionné par les groupes, les collectifs, je ne les ai jamais trouvés si fragiles. Comme nous sommes malheureux sans les autres.
Notre humanité est collective. C’est notre force. C’est un levier et une puissance. C’est aussi notre talon d’Achille. En nous coupant les uns des autres, comme avancer devient difficile !
C’est fou tout ce qui nous isole en ce moment.

 

 

Mon enfant,

Je t'écris du 23 novembre 2020, et je veux te témoigner, que dans ce bordel de crise sanitaire, qui est surtout une crise politique, avec la bande à collègues, nous ne baissons pas les bras, ni les yeux
Mais pour être sincère, nous sommes englués dans cette situation. Nous continuons coûte que coûte à faire ce que l’on peut. Mais ce n’est pas grand-chose. Ce n’est sûrement pas assez en tout cas au regard des coups qui nous sont portés.
Nous sommes la production de ce que nous vivons, les situations nous construisent. Notre situation pour l’instant, c’est d’être confiné. Confiné avec toi mon enfant, c’est doux, ça me remplit et me porte !

Mon enfant, ta présence me porte et me pousse à agir. 
D'autres sont en mouvement, mobilisés et pertinents. Il est temps de les rejoindre. Au coude à coude.
La crise porte en elle le pire avenir, et le meilleur. Pour le meilleur, il faut retrouver le chemin de l’action collective.
Toutes les transformations sociales émancipatrices sont le fruit de mouvements collectifs. 

 

2021 sera un renouveau. C’est à nous de l’écrire. C’est à nous d’en construire le récit, ensemble.

Ce confinement avec toi aura été instructif. 
L’important est d’accepter d’être en colère, et de construire ses analyses rigoureusement, pour aller vers l’action.
L’important est de faire de l’incertitude une alliée.
L’important est d’être solidaire et de penser aux autres, à commencer par celles et ceux qui nous entourent.
L’important est de savoir dire non, et de ne nier personne, de construire ensemble
L’important est de trouver la joie, les rires, d’être plein de désir et de vie.

 

Je t'écris aujourd’hui le 23 novembre 2020. Je t'écris de cette drôle d’époque, je t’écris de ce temps incertain.
Je t’écris surtout, pour te dire que nous avons confiance dans l’histoire, confiance dans nos pairs, nos amis, nos collègues ; et que nous vivrons, mon enfant, ensemble, des jours meilleurs, debout sur les ruines d’aujourd’hui.

 

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A nos alliés :

Après cette première phase de sidération, l’Escargot Migrateur va reprendre son chemin :

☛ Continuer à œuvrer en soutien aux collectifs en souffrance. Nous avons créé une formation pour partager ces savoirs singuliers : Faire un collectif dans la durée, envers et grâce à tout ! 

Accompagner les équipes à produire plus de solidarité, à se recentrer sur l’action locale. A coopérer mieux avec leurs alliés, et à créer des alliances avec les  opprimés.

Lutter contre les dominations qui structurent notre société, notamment en créant des formations spécifiques comme par exemple sur les rapports de genre et les inégalités dans le milieu de la culture.

Créer des rencontres et des alliances sur les questions d’alimentation et de solidarités.

Co-construire des aventures culturelles ancrées, encourager les démarches communautaires et être force de propositions solidaires.

Diffuser les méthodes de réflexions collectives, pour penser dans la complexité.

☛ Malgré la distanciation physique, continuer à chercher des modalités d’action.  
Hier, a eu lieu la première rencontre virtuelle sur la recherche collective sur les cérémonies et les rituels, et nous avons pu sentir la puissance de l’intelligence collective pour aller se questionner sur des questions centrales de notre humanité. Ce groupe, si hétéroclite, est plein de promesses. Et c’est la preuve que malgré la distance, nous pouvons continuer à créer des alliances nouvelles, et à produire ensemble des savoirs.

 

Bref, nous connaissons notre place, nous allons la reprendre avec vigueur ! 

Nous sommes un petit engrenage modeste dans une machine collective. Nous sommes plus que jamais conscients que notre capacité de résistance est proportionnelle à la solidité du lien qui nous relie à notre communauté, à vous toutes et tous qui agissez d’une manière ou d’une autre pour nourrir et illustrer les paroles d’Ariane Mnouchkine, extraites de ses voeux pour 2014 : 

Et surtout, surtout, disons à nos enfants qu’ils arrivent sur terre quasiment au début d’une histoire et non pas à sa fin désenchantée. Ils en sont encore aux tout premiers chapitres d’une longue et fabuleuse épopée dont ils seront, non pas les rouages muets, mais au contraire, les inévitables auteurs.

Nous avons la preuve maintenant que même Isolé.es ce lien ne s’effrite pas.
Alors ensemble, retrouvons-nous, soyons à la hauteur de cette épopée et rallumons tous les soleils !

 

Petite fille qui regarde une statuette d'escargot ailé posée à côté d'elle...